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mardi 28 août 2012
Le rachat du domaine bourguignon Chevrey-Chambertin par des Chinois semble lamenter une partie du microcosme viticole français ; il est pourtant le signe de l’attrait de nos vins et de notre gastronomie par l’ensemble du monde dynamique. Après l’Angleterre, après la Russie, après les États-Unis, voici l’Orient qui se délecte de nos grands crus. Quelle bonne nouvelle ! Déjà nous devions le champagne aux Anglais, et aux Russes sa diffusion dans les cours européennes, nous devions aussi la renommée d’Auguste Escoffier à son travail dans les palaces anglais et américains, voici que désormais la survie du paysage viticole de Cognac est dû à l’engouement de ce spiritueux par les Asiatiques.
Le cognac, cette boisson si française, si marquée par les paysages de la Charente, par les délimitations géographiques des AOC, tant révélée par la mystérieuse part des anges, et par ces maisons de pierres blanches noircies par le dégagement des vapeurs d’alcool, le cognac doit sa survie à la consommation étrangère.
D’après le dernier rapport du Bureau National Interprofessionnel de Cognac (BNIC), les expéditions de cognac ont augmenté de 4.3% en volume et de 13% en valeur entre août 2011 et juillet 2012, pour atteindre un chiffre d’affaires de 2.2 milliards d’euros. Pourquoi ne parle-t-on pas de ce beau succès français, pourquoi n’évoque-t-on que les déboires économiques ? C’est qu’en France, le cognac se porte mal, laminé par l’esprit prohibitionniste qui a envahi les normes européennes et les réglementations françaises, et par les changements de goût des consommateurs. La France, berceau et créatrice du cognac, sera-t-elle bientôt une terre de mission pour cette noble eau-de-vie ? Elle n’est désormais plus que la cinquième consommatrice mondiale de cognac, derrière les États-Unis (1er), Singapour (2e), la Chine (3e) et le Royaume-Uni (4e).
L’Extrême Orient devient en effet la principale zone consommatrice de cognac, avec 36.7% des parts de marché en 2011-2012, l’Amérique du Nord comptant pour 30.7%.
Le Bureau nous indique aussi que sur les cinq dernières campagnes, les marchés étrangers ont augmenté de 11.5% leur consommation en volume, quand, sur la même période, la consommation française diminuait de 21.1%.
On pourrait évoquer plusieurs causes à la diminution de la consommation de cognac en France. L’esprit prohibitionniste y joue pour une part, mais c’est surtout les changements de goût des consommateurs qui sont à incriminer. Et comme le rappelait Olivier de Serres, ce sont les clients qui font le vin, non la terre. Cette eau-de-vie n’est d’ailleurs pas la plus touchée ; l’armagnac de Cyrano de Bergerac souffre elle-aussi beaucoup, sans compter les calvas, prunes, fines et autres pêche williams. Boire un cognac à Singapour ou à Tokyo est si français que cette boisson n’est presque plus consommée en France. C’est là un des mystères de la mondialisation que d’associer une marque de terroir et d’origine géographique précise à un produit, au point de le sublimer et d’en faire l’archétype d’une culture, quand bien même cette culture l’a reniée.
Car aujourd’hui, par un renversement spectaculaire des habitudes culinaires, les Anglais consomment plus de cognac que les Français, et les Français consomment plus de whisky que les Anglais et les Écossais, alors même que cette boisson est le produit identitaire de ces nations.
D’après la Fédération Française des Spiritueux, la consommation de whisky représentent 38.6% de la consommation de spiritueux en France en 2011. En deuxième position viennent les boissons anisées, avec 27.7% de la consommation. Le cognac n’est qu’en huitième position, avec 0.8% de la consommation, un résultat ridicule par rapport aux deux grands. Mais le cognac représente 66% des exportations de spiritueux en valeur, sur un total de 3.1 milliards d’euros.
Les grandes marques de whisky sont d’ailleurs la propriété de Pernod Ricard, dont les fameuses Jameson, Four Roses, Chivas Regal. Pernod Ricard est propriétaire de 29 marques de whisky et d’une seule marque de cognac (Martell), et la société est la deuxième entreprise mondiale de spiritueux.
Le cognac un produit anglais ! Quand on se rappelle que le Général de Gaulle avait banni la consommation de whisky à l’Élysée, la remplaçant par du cognac à l’eau. Il faudrait donc réviser nos classiques, et imaginer Winston Churchill sirotant une fine champagne et le Général se servant un pur malt. Il faudrait aussi réfréner un chauvinisme ardent quand un investisseur étranger acquiert un domaine viticole français ou une grande marque de nos liqueurs. C’est le témoignage de l’aura de notre culture gastronomique sur le monde, et de la vigueur de l’économie française. Bientôt, peut-être, il faudra aller à Singapour pour apprécier le XO disparu de nos salons. Que restera-t-il aux Français ? Des blends, des singles, des bourbons, oui et, comme disait Cyrano : "Mon panache !"
Article paru dans la revue Tak.
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