L’immense marché des foires aux vins

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mardi 11 septembre 2012

En ce mois de septembre, les amateurs viticoles frétillent : la rentrée s’annonce sous des auspices heureux, la France des supermarchés ouvre ses foires aux vins, suivie aussi par les sites de vente en ligne et les cavistes. Les œnophiles vont se ruer dans les allées à la recherche de bonnes bouteilles, de bon rapport qualité prix, de perles rares, et d’émotion.

Avec la rentrée des clases, les foires aux vins sont l’autre rituel de septembre. Pendant des générations, les Français ont fait les vendanges, tant le pays était couvert de vignes dans toutes ses régions, y compris vers le nord. Le vin était infect, mais c’était son vin et ses vendanges. L’urbanisation de la France, le déracinement de la terre, n’a pas ôté le lien charnel qui unit les Français à la vigne. Dans le plaisir qu’il y a à faire les foires aux vins, se trouve la réminiscence de l’époque vigneronne où la France vendangeait. Les caddies ont la forme des hottes d’osier d’antant, les mêmes croisillons, mais avec des roulettes. Le guide publicitaire que l’on reçoit, anxieux et attentif, a remplacé le regard que l’on fixait vers le ciel pour comprendre la météo, espérer un temps clément, et éloigner les orages de grêles. Notre France urbaine se nourrit de la France rurale.

C’est Leclerc qui a lancé la mode des foires aux vins, dans les années 1980. Que ne s’est-on moqué de lui, des bouteilles entreposées dans des hangars surchauffés, des luminaires glacials, de la pression exercée sur les vignerons. Aujourd’hui, ces foires aux vins sont incontournables et sont un temps fort de la vie des hypermarchés. Ce sont les soldes de la bonne chère et de la gastronomie. C’est un rituel propre à la France, comme l’Allemagne à la fête de la bière, et l’Espagne les corridas. C’est aussi un lucratif marché, une machine rodée qui fait bien vivre les magasins.

Je donnerai ici quelques chiffres qui montrent la place des foires aux vins pour une enseigne. Ces chiffres sont ceux du Carrefour de Montesson, dans les Yvelines. Pourquoi ce magasin ? D’abord parce que je le connais bien, puisque c’est celui que je fréquente, ensuite parce que c’est le seul dont j’ai des chiffres précis, enfin parce qu’il me semble emblématique de ce que représente cet événement pour les supermarchés.

Sur 13 jours de foire, ce sont 250 000 bouteilles qui sont écoulées, soit autant que sur tout le reste de l’année. L’espace dédié aux foires vins a été entièrement repensé par rapport à son usage habituel. L’événement représente 1 000m² du magasin, dont 200m² réservé aux grands crus, soit 20% de la surface totale. La segmentation se fait par région, avec des cartes et des guides installées aux endroits stratégiques, pour aider les clients à se repérer. C’est une logistique considérable puisqu’il faut cinq nuits de travail, avec vingt employés, pour installer tous les linéaires et toutes les palettes ; les bouteilles sensibles n’étant mise en place qu’au dernier moment. Ces quelques points de l’envers du décor ne sont souvent pas imaginés par les clients.

Mais la foire aux vins témoigne aussi de l’évolution générale de la grande surface. Beaucoup de clients se perde dans ces vastes espaces ou cherche un conseil qu’ils ne trouvent pas. La tendance est à l’installation de conseillers dans les linéaires pour aider et guider les consommateurs. Ces conseilleurs sont souvent d’anciennes caissières reconverties : l’automatisation du passage en caisse permet en effet de libérer des postes. Or, ce magasin a choisi d’installer des conseillers pour aider les clients. Au temps fort de la journée, il y en aura jusqu’à 16. C’est une évolution remarquable des hypermarchés, car cela était absent autrefois. De même ce magasin, s’est associé avec une galerie d’art pour exposer des photographies grands formats dans le rayon des grands crus. Les œuvres exposées sont celles de photographes renommés, comme Patrick Blin, Laurent Baheux ou Christian McManus. Qu’il est loin le temps du premier Carrefour à Sainte Geneviève des Bois, ce hangar dallé aux néons blafards. Cinquante ans plus tard, l’art occupe les allées, entre des Mouton Rothschild et des Château Yquem. On se rapproche du Bon Marché, tout en voulant donner une ambiance de caviste.

Si les clients et les hypers profitent à plein de ces foires aux vins, la question se pose aussi pour les vignerons. Sont-ils pressurés par les grandes surfaces pour fournir des bouteilles à bas prix ? On ignore la marge réalisé sur une bouteille de vin vendu 9€. Dans un restaurant, les prix sont multipliés entre trois et quatre, ce qui n’est sûrement pas le cas ici. Pour reprendre l’exemple du magasin cité, 25 viticulteurs seront présents à la soirée inaugurale. Si les premières années le magasin a dû un peu batailler pour les faire venir, aujourd’hui c’est eux qui demandent à avoir un stand pour pouvoir présenter leurs vins et discuter avec les clients. Voilà que l’hypermarché est en train de devenir un salon des vins. Que ces viticulteurs viennent au mois de septembre, c’est-à-dire en pleine vendange, témoigne aussi de leur fidélité au magasin, et de leur adhésion au concept. D’autre part, des vignerons réputés, et absents des grandes surfaces, ont accepté de vendre leur vin cette année, et pour certains pour la deuxième année consécutive. La preuve là aussi qu’ils tirent parti de cet événement. Si une partie du monde viticole est en difficulté, c’est souvent parce que le vin reste difficilement accessible ou compréhensible pour les consommateurs, même de bonne volonté. Le fait que les vignerons se déplacent dans des hypers, et échangent ainsi avec les clients, est un signe positif pour le monde du vin. Le fait que des milliers de Français attendent avec jubilation l’ouverture des rayons partout en France, témoigne aussi de l’imprégnation culturelle et sociale du vin. Crise et prohibition ne viennent pas à bout du plaisir viticole.

Article publié dans la revue Tak.

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