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dimanche 27 octobre 2013
Chronique gastronomique
L’amateur a ses lieux de pèlerinages où il aime venir humer l’air de l’espace et l’esprit du terroir. À notre époque mondialisée, la fourchette sait voyager tout en restant sur place, le palais peut se balader sans sortir de chez lui : nous avons à notre disposition l’ensemble des plats et des mets du monde que nous souhaitons. L’exotisme vient chez nous, sans que nous ayons besoin d’aller le chercher là où il naît. Toutefois, de temps en temps, l’amateur aime faire des voyages insolites. Crapahuter sur la route des vins pour se rendre compte que la réalité est conforme aux photographies. Visiter des maisons anciennes et des bocages d’élevage pour constater que le terroir existe et n’est pas seulement une norme européenne obligatoire pour pouvoir justifier d’un produit de marque. Alors, l’amateur sort de chez lui et organise un voyage gastronomique. Il s’agit de se rendre sur les lieux de fabrication de son produit mythique. Bien souvent, il ne pourra pas voir l’usine ou la fabrique où le produit est réalisé. Peut-être même ne pourra-t-il pas le déguster, car aucun magasin n’en vend, mais il sera venu, il aura vu. Il aura, bien évidemment, pris des photos, et ramené un souvenir. Il pourra en parler avec ses amis, pendant de longues années, puisqu’il est à peu près certain de ne jamais revenir. Et, quand il dégustera son produit préféré, il pourra se remémorer son voyage, sa découverte, ses surprises, et le goût en sera modifié, comme transformé, car la connaissance que l’on a d’une chose bouleverse la perception que l’on peut s’en faire.
L’amateur pourra ainsi juger utile de se rendre à Chimay. Cette ville condense tous les avantages du périple gastronomique. Ce n’est pas trop loin de Paris (l’amateur est souvent parisien), mais suffisamment loin pour donner une touche exotique. C’est en pays étranger. La preuve en est que l’on doit changer de réseau téléphonique, et que les appels sont surtaxés. On constate aussi que la population ne parle pas tout à fait comme nous. On traverse une frontière, et il est rare de nos jours de se rendre compte que l’on traverse une frontière politique. Et puis la Belgique est mal connue, et les Ardennes sont tout un continent. Et puis Chimay est une bonne marque de bière, une bière de dégustation comme l’on-dit publiquement. On pourra donc en ramener quelques bouteilles sans passer pour un plouc.
Sur place, l’amateur devra veiller à s’extasier devant tout ce qui est ordinaire, mais qui doit lui paraître hors du commun. Il ne doit pas avoir peur de passer pour un touriste, et comme l’amateur est Français, il doit développer, bien sûr, un fort sentiment de supériorité vis-à-vis des Belges. Ainsi il faudra s’extasier sur l’odeur de frites qui emplit les rues de la ville, il faudra se pâmer devant la plaque de rue mentionnant la fabrication de la bière, et se remplir d’extase face à la devanture de la boutique qui présente des paquets de bière Chimay. Tout cela est authentique et vrai. Tout cela est conforme au terroir. L’amateur a bien fait de se déplacer, il trouve ici de quoi le satisfaire pleinement.
Mais à Chimay, comme chacun sait, on ne fabrique pas la bière. Pour aller sur les lieux de sa naissance, il faut se déplacer à l’abbaye Notre Dame de Scourmont, située à quelques kilomètres de Chimay. L’abbaye est récente puisqu’elle fut fondée en 1850 par des moines cisterciens, à la demande du prince de Chimay. Le brave prince ignorait alors que son nom allait devenir célèbre grâce à une boisson fermentée au houblon. En France, nous avons le prince de Charolais, qui est l’héritier des ducs de Bourgogne. La fabrication de la bière débuta en 1862. C’est aujourd’hui une des rares bières trappistes.
L’amateur pourra admirer les belles couleurs des bouteilles de Chimay : bleu, blanc, rouge et doré. L’amateur appréciera que les couleurs d’étiquette reprennent celles du drapeau français : c’est un hommage gastronomique appuyé à notre beau pays. Quant aux formes de la bouteille, elles sont généreuses et intrigantes. On prend plaisir à retirer le calicot de fer qui encercle le bouchon de liège, à imaginer par avance le bruit délicat qui va s’opérer lors de l’expulsion du fermoir, à écouter avec attention le léger frétillement de la mousse qui se déverse sur les parois sur verre-calice. Une Chimay se déguste avec tous ses sens : l’ouïe, la vue, l’odorat, le toucher. C’est toujours un plaisir que d’observer la mousse se séparer du liquide pour former un chapeau épais et protecteur sur la bière en sommeil. On se délecte par avance de la dégustation promise à l’amateur. Comme le dit si bien le slogan de Chimay : une bière brassée avec savoir se déguste avec sagesse.
L’amateur laisse là ses préventions et ses craintes. Même en pays hostile et étranger il retrouve le bon goût de la civilisation. Il pourra rentrer chez lui enrichit de cette expérience culinaire et gastronomique unique : celle de déguster en son berceau la plus mûre des bières trappistes.
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