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mercredi 7 novembre 2012
Depuis quelques années une pression s’exerce auprès des établissements scolaires pour qu’ils s’équipent en matériel informatique. Les professeurs qui utilisent des tableaux numériques interactifs (TNI) ou des environnements numériques de travail (ENT) sont dubitatifs quant à leur utilité pédagogique. Pourtant, des rapports parlementaires promeuvent ce type d’équipement.. Pourquoi ? La réponse se trouve dans le rapport rédigé par Jean-Michel Fourgous, ancien député des Yvelines, qu’il remit au Premier ministre en février 2012.
Après quinze semaines d’enquête, Jean-Michel Fourgous, maire d’Élancourt et député des Yvelines jusqu’en 2012, a remis le 24 février 2012 son rapport sur l’usage du numérique à l’école. Ce texte est une longue plaidoirie en faveur de l’intrusion massive des TICE (Technologie de l’Information et de la Communication pour l’Enseignement).
En tant que maire d’Élancourt, commune située dans les Yvelines, Jean-Michel Fourgous a tenu à équiper l’ensemble de ses écoles en équipement numérique dès son élection en 1996, équipement qui comporte aujourd’hui des TNI (Tableau Numérique Interactif), des ordinateurs portables et des tablettes tactiles. C’est donc un partisan résolu de l’usage de ces outils à l’école. Je laisse au lecteur le soin de découvrir son rapport, dont il a eu la bonne idée de réaliser un livret de 21 pages le résumant.
Disons-le d’emblée, ce rapport a des aspects inquiétants. Que le numérique soit un fait majeur des changements technologiques et industriels de notre temps est une évidence. Qu’avec le numérique nos vies aient été changées est là aussi indéniable. Qu’il soit un des vecteurs futurs de notre économie est une certitude. Que l’on réfléchisse à la meilleure façon possible d’intégrer le numérique dans les écoles, afin d’en tirer tout le bénéfice possible, est une bonne chose. Mais ce rapport ne vise pas cela. Son objectif, annoncé et assumé, est d’assurer le triomphe du pédagogisme en imposant le passage à l’école numérique. Puisque les maîtres et les professeurs ont montré quelques réticences à décalquer dans leurs classes les théories pédagogistes absurdes, on cherche à assurer leur triomphe par le biais de l’entrée du numérique. Il faut assurer le changement nous dit-il et « enseigner avec les TICE ce n’est pas faire la même chose autrement, c’est faire autre chose » (page 11 du livret). Cette « autre chose » c’est perpétuer les erreurs pédagogiques qui ont conduit aux désastres que l’on sait.
Le rapport donne le ton : toute personne qui conteste l’usage du numérique à l’école est un réactionnaire manquant d’ouverture d’esprit, de modernisme, attaché aux valeurs traditionnelles. La rédaction a parfaitement intégré la rhétorique marxiste consistant à décrédibiliser l’opposant en le parant de toutes les valeurs négatives. Le rapport le dit lui-même : en la matière il ne doit pas y avoir de débat :
« Ce rapport doit permettre d’arrêter les conflits improductifs entre les pro- et les anti-« pédagogie », entre les technophiles et les technophobes : arrêtons les débats. Ce n’est plus l’heure : aujourd’hui, il faut agir ! (p. 220) »
Il ne reste plus qu’à inscrire la technophobie dans la liste des pensées racistes interdites, pour en finir définitivement avec ceux qui ne pensent pas en rond. On croyait être dans Rimbaud et son injonction « Il faut être absolument moderne » et nous voilà dans Nietzsche et ses estropiés à l’envers. C’est que la vision de l’école voulue par ce rapport est très différente de celle à laquelle les parents et les professeurs sont attachés.
« Comme l’incite la mise en place du socle commun, notre École doit passer d’un enseignement de connaissances à un apprentissage de compétences qui nécessite « de faire ». (…) L’important n’est plus de transmettre un savoir formaté. Il faut apprendre à collaborer pour mieux innover et être plus efficace dans ce monde qui s’accélère (page 10 du livret). »
Détruire l’école du savoir et de la transmission pour édifier l’école des compétences et de la collaboration, voilà l’objectif recherché par l’emploi des TICE. Je ne doute pas que si nous suivons les prescriptions du document, on arrive à édifier cette école ; mais qu’elle fait froid à l’âme cette école glaciale et vide de savoir ! Qu’elle fait peur, cette école où la transmission des textes est absente, où la culture n’a plus sa place.
Faire une autre école
Nous avons relevé six erreurs majeures dans ce rapport :
1/ Il n’a pas compris pourquoi l’école a échoué à former des intelligences.
2/ Il développe une croyance absolue et fanatique dans les TICE.
3/ Il cherche à fonder l’école sur l’acquisition des compétences et non sur la transmission et l’assimilation des savoirs.
4/ Il veut perpétuer un modèle unique d’éducation.
5/ Il confond l’école, l’entreprise et la société.
6/ Il développe une vision utilitariste de l’école, qui doit produire des compétents et non pas former des intelligences.
« Si, dans le classement de Shanghai, les 10 premières universités sont anglo-saxonnes, la France a obtenu 33% des médailles Fields (récompensant les mathématiciens les plus méritants) et HEC est la première école de commerce en Europe. Cependant, nous devons faire face depuis 25 ans à une forte augmentation de la diversité des élèves : si jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, seuls 6% d’une classe d’âge étaient scolarisés au lycée, aujourd’hui, 70% passent le bac. En 6e, 15% de nos enfants ne savent pas lire. 40% maîtrisent mal les compétences attendues au collège. Chaque année, 200 000 jeunes quittent notre système scolaire sans diplôme.
Comme le soulignait Pierre Bourdieu, on ne peut pas enseigner à 80% d’une classe d’âge comme on le faisait pour une élite sélectionnée (page 8 du livret). »
Citer Pierre Bourdieu et Philippe Meirieu dans un rapport sur l’école décrédibilise l’argumentation, dans la mesure où ce sont eux qui sont les principaux fossoyeurs de notre école et de notre instruction. Pour les lecteurs qui ne sont pas familiarisés avec le jargon pédagogiste voici propose quelques perles, issues du livret :
« Afin de développer cette compétence [la motivation], il serait nécessaire d’instaurer plus d’évaluation formative positive et moins d’évaluation sommative-sanction ». (p. 8) ou, page 10, « L’important n’est plus de transmettre un savoir formaté. Il faut apprendre à collaborer pour mieux innover et être plus efficace dans ce monde qui s’accélère » et page 14 : « Internet fait évoluer le métier. Il décharge l’enseignant de ses fonctions de « répétiteurs ». Au XXIe siècle, l’enseignant-leader-manager guide, coache, manage et anime des communautés d’apprentissage. Le webtutorat est une réponse à un besoin de société. Les TIC permettent à l’enseignant de passer du rôle d’acteur aux rôles de metteur en scène, d’auteur et de créateur de contenus. »
Bien évidemment on parle d’apprenant et non pas d’élève. Mais nous n’avons pas trouvé mention, hélas, du référentiel bondissant aléatoire (un ballon de rugby pour les non-initiés) qui est pourtant l’une des plus belles trouvailles des pédagogistes.
Ainsi, selon l’esprit du rapport, s’il y a aujourd’hui autant d’illettrés en France, ce n’est pas parce que l’on a suivi la dictature du pédagogisme, notamment en imposant la méthode globale, dont on savait pertinemment qu’elle produirait des désastres, non, c’est parce qu’on n’a pas assez introduit les TICE dans l’éducation. S’il y a des élèves qui s’ennuient en cours, qui n’arrivent pas à développer leur talent et leurs aptitudes, ce n’est pas parce que l’on a imposé le collège unique et que l’on refuse l’apprentissage, ce n’est pas parce que les contenus des cours sont vides de savoir, c’est parce que les professeurs font trop de cours magistraux et qu’ils ne savent pas s’adapter aux enfants. Si la France décroche dans les classements internationaux, ce n’est pas parce qu’on a empêché la liberté pédagogique, parce que les programmes se vident et parce que les manuels sont indigents, c’est parce que les professeurs ont conservé les méthodes d’avant. Si, sur les 200 000 jeunes qui quittent l’école sans diplôme une écrasante majorité est constituée de garçons, ce n’est pas parce que l’on a supprimé la non-mixité, créant ainsi une école de filles tournée exclusivement vers les filles, c’est parce que les élèves sont passifs et s’ennuient.
On pourra ainsi admirer la beauté d’une formule-choc proposée en sous-titre du livret : « L’éducation d’hier ne formera pas les talents de demain ». Si l’éducation d’hier c’est le modèle pédagogiste, il est certain qu’il n’y aura aucun talent formé demain.
Le tour de force de ce rapport est de désigner comme responsables de la crise éducative des personnes qui n’y sont pour rien et qui ne cessent de dénoncer les dérives scolaires ; et de désigner comme recours une méthode prétendument nouvelle qui est en vérité fort ancienne, qui est celle qui règne en maître depuis les années 1980 et qui est responsable de l’échec éducatif. Les rédacteurs cherchent à faire passer le remède pour un poison, et le poison pour une médecine. Comme le disait si bien Thucydide « En voulant justifier des actes considérés jusque-là comme blâmables, on changea le sens ordinaire des mots. »
Le rapport se désole que les enfants des milieux modestes passent majoritairement des bacs professionnels « 78% des enfants de familles favorisées obtiennent un bac général contre 18% des enfants de familles issues d’un milieu défavorisé » (p. 8 du livret).
Et alors ? En quoi est-ce une tare de passer un bac professionnel, de faire un IUT, des études courtes, et de commencer à travailler à 20 ans ? Cette aversion pour les études professionnelles est problématique. Il est vrai que le drame des bacs pros c’est d’être considérés comme des bacs poubelles. Ils deviennent la sanction imposée aux élèves qui ne travaillent pas, alors même qu’ils devraient être des voies d’excellence. La revalorisation de ces filières est indispensable, notamment dans l’esprit de nos dirigeants.
Développer les compétences, non pas la transmission des savoirs
Créer une école d’acquisition des compétences entre dans le cadre de directives de la Commission européenne et de l’OCDE, comme le mentionnent d’ailleurs les nombreuses références du rapport. Cela émane d’une confusion entre ce qu’est l’école et ce qu’est la société, confusion faite aussi, de bonne foi, par certains parents.
Quelques extraits du livret le mettent bien en évidence :
« Selon l’OCDE, l’École a trop tendance à être déconnectée des évolutions de la société (page 11 du livret). »
« Très conservatrice, notre École est aujourd’hui à contre sens des valeurs attendues dans notre société d’aujourd’hui. Les savoirs traditionnels sont importants mais ne suffisent plus à répondre à la complexification de notre société (page 14 du livret). »
L’école est fermée à la société, l’école ne prépare pas au monde de l’entreprise, autant de choses vraies présentées comme des défauts. Mais l’école n’est ni la société ni l’entreprise. L’école est un lieu d’apprentissage de savoirs et de savoir-faire (savoir travailler, savoir rédiger, savoir analyser un document, savoir résoudre un problème de mathématique, savoir organiser un emploi du temps…), c’est un lieu de transmission des savoirs, c’est un lieu d’acquisition de culture générale, c’est un lieu de formation du caractère par l’intégration des vertus humaines. C’est à l’enseignement supérieur de préparer au monde de l’entreprise, pas à l’école. Et encore, cela pourra être contesté, avec raison, par certains.
Car qui sait ce que sera le monde économique dans 40 ans, quand nos bacheliers de 2012 auront 58 ans et qu’il leur restera encore douze ans à travailler ? En imposant le numérique à l’école, on veut faire maîtriser à nos enfants des outils qui seront obsolètes à leur sortie du lycée. Les ordinateurs brillants d’aujourd’hui utilisés en primaire seront de vieilles guimbardes dans dix ans. Si l’école ne se construit que sur le futile et l’éphémère elle ne risque pas de former des hommes. Par comparaison, cela fait 2 500 ans que les écrits de Platon conservent leur fraîcheur, et Montaigne et Baudelaire sont encore d’une incroyable vivacité. C’est l’étude de ces textes-là qui permettra aux futurs adultes d’être créatifs et inventifs, et non la maîtrise d’objets si rapidement dépassés. On pourrait rappeler à l’auteur du rapport la pensée de Paul Valéry : « le lion est fait de moutons assimilés ».
La seule façon pour les élèves d’affronter le monde économique à venir est de disposer de solides méthodes de travail, d’une vaste culture générale, et d’un bagage intellectuel profond, c’est-à-dire de maîtriser l’invariant. C’est l’homme généraliste et polyvalent qui s’adapte et qui crée, non le technicien spécialisé.
Quel que soit leur métier, quel que soit leur secteur, c’est pour eux la seule façon de pouvoir s’adapter, de pouvoir innover, d’être créatif. L’école centrée sur l’élève, où celui-ci est un auto-apprenant, où il est son propre acteur (tout cela est écrit dans le livret) où il s’auto-évalue, est une chimère.
Ce rapport ne cherche pas à développer l’informatique à l’école, cet intérêt personne ne le conteste. Il cherche, sous couvert de modernisation informatique, à asseoir la victoire du pédagogisme à l’école. Il n’y a aucun esprit critique dans les quelque trois cents pages du rapport. Parmi les huit membres de l’équipe de rédaction, quatre travaillent à la mairie d’Élancourt, qui impose l’informatique depuis 1996. Les quatre autres étant aussi des partisans des TICE, il est évident que le rapport ne pourra être qu’élogieux à leur égard. Si un jour je suis Premier ministre et que je souhaite interdire la chasse aux sangliers, je confierai la rédaction d’un rapport parlementaire sur le sujet à des membres de la société protectrice des animaux, surement pas à l’amical des chasseurs de Sologne.
Malgré tout, cette propagande n’arrive pas à cacher les réticences du corps professoral vis-à-vis de l’inutilité des TNI et autres tablettes numériques.
Sur le terrain : l’échec du numérique
Voici ce qu’on peut lire en page 19 du livret sur la présentation des TNI :
« Ludique, le TNI est un outil collectif favorisant la participation de l’élève. Plus motivant, moins stressant qu’un tableau traditionnel, les élèves vont plus volontiers au tableau. Le statut de l’erreur change. Le TNI modifie l’organisation spatiale et fonctionnelle de la classe. Après avoir essayé cet outil, aucun enseignant, ni élève ne conçoit de travailler sans ou autrement. »
Nous sommes ravis d’apprendre que le TNI est moins stressant que le tableau à craie, que l’on nomme judicieusement tableau traditionnel, pour le dévaloriser. Mais si les élèves ne sont pas stressés, comment vont-ils faire en entreprise où le stress est permanent ? Ils risquent alors de ne pas développer la compétence résistance au stress. Quant à la dernière phrase, c’est un modèle de désinformation. Les professeurs sont plus que dubitatifs face à l’usage des TNI et ceux qui ont été formés pour s’en servir en font très peu usage. Le rapport le reconnaît d’ailleurs.
« En effet, même s’ils considèrent que la pédagogie active, par l’expérience, est l’avenir de l’enseignement, les enseignants ont tendance à utiliser les TICE afin d’être plus efficaces dans leurs pratiques actuelles, traditionnelles, transmissives (p. 124). »
Et dans le livret :
« Le recrutement et la formation des formateurs d’enseignants devraient également être repensés :
34% d’entre eux considèrent que les TICE sont un « plus » dans le développement de l’esprit d’analyse ou de la créativité, 17% dans le développement de la confiance en soi. Cette faible conviction se répercute chez les futurs enseignants, dont moins d’un tiers estime que les outils numériques peuvent être un support pertinent pour aider les élèves rencontrant des difficultés (page 12). »
Voilà comment, en deux phrases, résumer l’échec d’un rapport de 237 pages : 66% des formateurs d’enseignants considèrent que les TICE sont inutiles pour développer l’esprit d’analyse et la créativité et 83% estiment qu’ils ne permettent pas de développer la confiance en soi. Visiblement, le tableau traditionnel stressant est davantage moteur de confiance en soi et de créativité que le TNI fun et interactif.
Quant aux futurs professeurs, plus de 70% pensent que les TICE ne permettent pas d’aide les élèves en difficultés. Eux qui sont sur le terrain, eux qui doivent gérer leur classe et leurs élèves, en sauraient-ils plus que les pédagogues qui veulent leur imposer des technologies couteuses et, manifestement, inutiles ?
Pour les professeurs ces TICE sont comme les idoles du psaume 53, « elles ont des bouches mais ne parlent pas, des oreilles mais n’entendent pas. »
Mais, dans le combat entre le roi-terrain et le dieu-TICE, ce dernier devra l’emporter. Si les professeurs ne veulent pas utiliser les TNI et les ENT (Environnement Numérique de Travail), ce n’est pas parce qu’ils ont éprouvé leur vacuité, ce n’est pas parce que leur expérience a tranché, c’est parce qu’ils restent arc-boutés sur une vision traditionnelle de l’école, parce qu’ils sont encore dans la vision d’une transmission des savoirs, d’une formation de la culture, et qu’ils n’ont pas encore adhéré aux valeurs de l’apprenant auto-évalué, de l’apprentissage informel et de l’évaluation formative (page 15 du livret). Il faudra donc changer les professeurs pour pouvoir produire cet élève capable de cocher des compétences, selon les préceptes de l’OCDE et de l’UE. Voilà comment le libéralisme matérialiste rejoint le socialisme dans sa détestation de l’homme cultivé. On croirait relire ici la page fameuse des Possédés de Dostoïevski, où un des personnages évoque sa passion de l’égalitarisme :
« La calomnie et l’assassinat dans les cas extrêmes, mais surtout l’égalité. D’abord abaisser le niveau de la culture des sciences et des talents. Un niveau scientifique élevé n’est accessible qu’aux intelligences supérieures, et il ne faut pas d’intelligences supérieures ! Les hommes doués de hautes facultés se sont toujours emparés du pouvoir, et ont été des despotes. Ils ne peuvent pas ne pas être des despotes, et ils ont toujours fait plus de mal que de bien ; on les expulse ou on les livre au supplice. Couper la langue à Cicéron, crever les yeux à Copernic, lapider Shakespeare, voilà le chigalévisme ! Des esclaves doivent être égaux ; sans despotisme il n’y a encore eu ni liberté ni égalité, mais dans un troupeau doit régner l’égalité, et voilà le chigalévisme ! Ha, ha, ha ! Vous trouvez cela drôle ? Je suis pour le chigalévisme ! »
Attaché à la liberté, je ne conteste nullement à ces écoles le droit d’exister. Ce que je ne souhaite pas, c’est que ces écoles aient une position de monopole en France. Que l’on donne la liberté aux écoles de choisir leur pédagogie et leurs orientations, et que l’on accorde aux parents le droit de choisir l’école de leurs enfants, et ils choisiront entre les deux modèles qu’on leur propose : l’école des compétences ou l’école des savoirs. On verra laquelle a leur préférence.
Que l’on me permette une dernière remarque. Je ne doute pas de la probité et de l’honnêteté des auteurs du rapport, mais ce matériel technologique a un coût. Avant de l’imposer dans les établissements il serait bon de mandater une mission parlementaire pour vérifier les liens entre les députés et les entreprises fabricants ces outils. Le scandale des éthylotests, où les entreprises les fabricant ont fait voter une loi rendant obligatoire leur présence dans les véhicules, le scandale du vaccin de la grippe aviaire, où les laboratoires pharmaceutiques ont fait pression pour que l’on rende la vaccination obligatoire afin de vendre leurs stocks, devrait nous rendre méfiant dès qu’il s’agit de normes administratives et de marchés publics. En la matière la plus grande transparence est nécessaire pour éviter les doutes et les rumeurs, ainsi que les fraudes.
Dans cet article, je me suis permis de citer Valéry, Nietzsche, Rimbaud, la Bible, Thucydide et Michel Déon. Que les auteurs du rapport ne se formalisent pas de cette attitude transmissive, c’est simplement la vieille habitude d’un jeune homme vert de 29 ans, qui publie ses livres certes en format papier, mais aussi en format kindle et epub, qui a créé trois revues culturelles uniquement sous format numérique (j’espère que ce pedigree suffira à m’éviter les peines encourues pour technophobie) et qui ne se résout pas à l’assassinat de sa culture et au refus de la transmission. Seule la culture libère l’homme, et si aujourd’hui le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les 15-25 ans, c’est en partie parce que cette génération manque de référence culturelle, étant trop centrée sur elle-même.
La Boëtie a écrit un merveilleux ouvrage sur le concept de servitude volontaire, j’en recommande l’étude à mes élèves, comme je leur conseille aussi la lecture de quelques passages de Kierkegaard (dont on trouve les œuvres en format numérique) et notamment la méditation de cette phrase à sa fiancée Lou Salomé « [Avec la philosophie] j’ai mille ans de plus que vous ».
Post scritpum :
Deux citations pour conclure cette étude du rapport.
La première est de Steve Jobs, elle est issue de la biographie que lui a consacrée Walter Isaacson. Lors d’un entretien, l’auteur lui demande si l’informatique va révolutionner l’éducation, et si elle peut lutter contre les problèmes rencontrés par l’école. Le patron d’Apple répond ainsi :
« J’ai probablement été le fer de lance sur la planète dans le don de matériel informatique aux écoles. Mais j’ai été forcé d’admettre que le problème n’en est pas un que l’informatique pourrait résoudre. Ce qui cloche avec l’éducation ne peut être corrigé avec la technologie. »
La deuxième est de Jean-Paul Brighelli, dans La fabrique du crétin (p. 129).
« Il est remarquable que la faillite de l’enseignement ait amené une surconsommation de produits informatiques ; quelques firmes équipent massivement les établissements, par dizaines de milliers d’unité ; la faillite du savoir n’appauvrit pas tout le monde : la politique éducative de la France se déciderait-elle chez Compaq ou Microsoft ? On a bien, au début des années 1980, tenté de sauver Atari en commandant à cette société spécialisée dans les jeux des milliers d’ordinateurs que jamais personne n’a pu faire fonctionner. »
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