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dimanche 15 décembre 2013
Chronique gastronomique
De Noël, chacun conserve ses souvenirs et ses images. La route gelée, les bâtiments recouverts de neige, la flamme qui brûle dans l’âtre familial, et le froid qui débute Jacquou le croquant. C’est l’évocation de tous les drames que le paysan du Périgord a connus dans sa vie.
La chaleur de la fête, la bonhomie du village, les pas de cloches et les sons des pas des villageois qui montent vers l’église. Le prêtre qui pense à ses poulardes, ses vins et ses gâteaux. Le village qui oublie le Gloria et le sanctus et l’agnus pensant trop au souper. C’est la peine qui tombe sur le village de Provence que conte Alphonse Daudet.
La littérature est aussi riche de Noël que l’est la table.
Les 13 desserts, sur lesquels tant de familles se battent. Surtout, ne pas en parler, comme l’Affaire. Sur les trois nappes, une par personne de la Trinité, tout le monde est d’accord. Sur la quantité des desserts, treize, la concorde règne aussi. Sur la présence des mendiants, figue, amande, noisette, et raisin sec, le doute commence à s’installer. Sur l’attribution de chaque mendiant à son ordre, franciscains, dominicains, carmes et augustins, le désaccord est possible. Reste les autres desserts, et c’est là que la discorde s’installe. Chaque famille a sa vision, chaque région sa tradition. La pompe à l’huile bien sûr, qui rappelle qu’en Provence on tartine son pain frais à l’huile d’olive, et non pas au beurre salé. Les nougats, blanc et noir, de Montélimar. Les fruits frais, orange, pomme et poire, les seuls fruits encore présents en hiver. Bien sûr, la confiture de cédrat, qui nous vient de Corse, et qui traverse la Méditerranée pour l’occasion. Les sarments peuvent pétiller dans le brasier. La pluie est traversière et l’écho se murmure.
On a mangé le gibier, celui tué depuis l’ouverture. La perdrix, le lièvre, si l’on chasse du menu. Le sanglier, le cerf, si l’on chasse du gros. On déguste cette viande forestière, sanguine, terrestre, qui rappelle l’humus des étangs, le cri sourd de la grive, le jappement du chien. Nous avons quitté la Provence pour rejoindre les forêts humides de Sologne. Si la famille n’est pas chasseuse, on se rabat sur l’oie. Mais quel festin que l’oie, quelle richesse. C’est le plat des rois de Noël. L’oie qui a grossi en s’ébattant dans la basse-cour. L’oie dont les plumes blanches ou grises annoncent la provenance : du Rhin ou de Guinée, et donc la finesse de la viande. On recherche cette chair rouge qui brunit doucement dans le four, qui se caramélise au doux contact du feu. La graisse fond, la chair s’en gorge. La peau se contracte, croustille, craque. Le léger clapotement du jus dans le fond du plat évoque à l’oreille les mélodies monacales de Noël. C’est un clapotis grégorien. L’accompagnement musical est nul, seule résonne la voix de baryton de la chair de l’oie dont les notes résonnent dans l’antre chaude du four. À travers la vitre, qui se couvre de graisse au fur et à mesure de la cuisson, on distingue de moins en moins la lente transformation de l’oie, qui devient gouteuse et délicieuse. On admire les objets du culte de l’oie : le couteau à manche d’acier, le ciseau à la poignée ferme, le tablier, qui va être aspergé des relents de graisse qui s’échappent lorsque l’on coupe l’animal.
Avec cela, un pic Saint Loup. La majestueuse colline de calcaire jurassique domine son Languedoc et sa mer. La vue qui s’étend depuis le pic n’est pas sans rappeler l’extase de l’enfant qui contemple la cuisson de l’oie, le doux agencement des desserts, la préparation délicieuse des vins, des alcools, du brasier, du sapin. Les cantiques résonnent déjà, tous ceux des années passés. Les cantiques qui heurtent mémoires et voûtes et qui viennent constituer le chant voluptueux des souvenirs, de l’enfance, de l’espérance apportée par l’enfant pauvre qui est venu pour sauver les pécheurs que nous sommes.
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