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jeudi 19 septembre 2013
La nouveauté des idées politiques à l’époque contemporaine
Dans son Histoire des Idées politiques, Philippe Nemo définit les grandes lignes intellectuelles de l’époque moderne. Renonçant à l’opposition dialectique entre deux groupes politiques antagonistes, droite et gauche ou conservateur et progressiste, il démontre comment un troisième groupe est présent dans ce jeu politique, celui de la démocratie libérale, et comment les deux premiers sont beaucoup plus proches qu’il n’y paraît. Nous reprenons ici les principales idées développées par l’auteur, sans toujours faire directement référence aux pages de son livre.
La nouveauté introduite au XVIe siècle, c’est la capacité à penser le pluralisme. Les sociétés traditionnelles sont unicistes, il n’y a pas de place chez elles pour la diversité intellectuelle ou politique. Plusieurs phénomènes amènent à rompre cette unicité, et à créer une société pluraliste.
Phénomène religieux, avec l’irruption et la diffusion de la doctrine luthérienne, et les guerres religieuses qui s’en suivent, qui sont surtout des guerres civiles et non pas tant des guerres de religion.
Phénomène social, avec les transformations économiques donc sociales de l’Europe, l’apparition de la révolution industrielle au XVIIIe siècle, qui transforme le monde paysan et fait émerger la bourgeoisie et le monde ouvrier. Cela a débouché entre autres sur les luttes sociales.
Ces facteurs ont obligé les politiques et les penseurs politiques à penser le pluralisme et à l’intégrer dans leur mode de réflexion. Ils se sont rendu compte également que le pluralisme n’était pas un facteur d’éclatement social et de désordre, mais une forme supérieure d’organisation entre les hommes. C’est probablement là la grande nouveauté du XVIe siècle, le fait que la reconnaissance de la pluralité maintien l’unité d’un pays et assure son développement. C’est pourquoi apparaissent l’État de droit et l’idée de la démocratie libérale.
Le paradigme fondateur, c’est le modèle d’ordre que les personnes ont. Les grands clivages politiques ont essentiellement pour cause cette différence irréductible des visions de l’ordre social. Les clivages politiques ne s’apaisent nullement par la discussion et la polémique. Les vues des deux groupes sont antagonistes et irréductibles. La gauche et la droite n’ont pas réussi à s’entendre, en dépit des trois siècles de contact. Le cadre de pensée n’étant pas commun, voire étant différent et opposé, il n’est pas possible de trouver un arrangement entre les personnes et entre les idées. Bien au contraire, les discussions aggravent les polémiques politiques au lieu de les résorber. Autrui est un adversaire, face auquel il n’est pas possible de s’entendre.
Le terrain de lutte principal est donc l’école, car, par l’éducation, il est possible d’inculquer son paradigme fondateur aux enfants du camp d’en face, et donc de les faire passer dans l’autre camp.
« Les adversaires récalcitrants tentent d’imposer leur propre vision du monde par la propagande (…) soit en usant de l’arme suprême, l’éducation tout court : celui, en effet, qui se sera mis en position d’éduquer les enfants de ses adversaires politiques leur inculquera sa propre vision du monde et aura donc toutes raisons de penser qu’il a gagné la partie sur le long terme. D’où le fait que les problèmes d’éducation ont si souvent une charge politique explosive, totalement disproportionnée à leur importance pédagogique. » (p. 16)
Il y a 3 paradigmes dans la pensée politique moderne :
Réactionnaire : paradigme de l’ordre naturel.
Révolutionnaire : paradigme de l’ordre artificiel.
Conservateur ou démocratie libérale : paradigme de l’ordre spontané.
Les sociétés archaïques sont des sociétés sans histoire. Les hommes sont engoncés dans les mythes et dans les habitudes. La rupture intervient avec l’apparition de la cité grecque.
La cité grecque amène deux nouveautés : la physis et le nomos. La physis, c’est l’ordre naturel, le nomos, c’est l’ordre social et humain. Les penseurs grecs rendent possible la démarche critique, et par là l’apparition de la rationalité scientifique. La polis et l’agora ont permis le débat politique, la discussion des lois et des remises en cause des normes sociales. On se rend compte aussi que l’on peut remettre en cause l’ordre social sans détruire la cité.
La distinction entre la physis et le nomos donne le jus naturale (le droit naturel) et le jus positivum (le droit positif). Les penseurs réfléchissent ensuite à l’articulation entre les deux, et notamment de savoir si le droit positif est indépendant du droit naturel. Primauté du droit naturel ou indépendance du droit politique ? La seule action humaine peut-elle forger des institutions et des lois ?
Il y a des ordres qui ne sont ni naturels ni artificiels. C’est le cas du langage, du droit et de la morale. L’homme contribue à les créer, et en même temps cela s’impose à l’homme, indépendamment de lui.
Réactionnaires et révolutionnaire sont deux mêmes refus de la société pluraliste, critique et de marché, c’est-à-dire de la norme morale, politique et économique.
Les réactionnaires veulent échapper à cette société en revenant en arrière, revenir avant le moment où s’est engagée cette évolution, qui est généralement vu comme étant la Révolution française. Ils se réfèrent à un ordre naturel ou providentiel, dont on ne doit pas s’écarter, car tout ce qui s’en écarte conduit à un désordre. Certains penseurs réactionnaires sont donc prêts à renoncer au progrès, même scientifique et technique, et à tout ce qu’il apporte. Ils développent le mythe de l’âge d’or, des époques glorieuses et lumineuses. C’est une idéologie uchronique, c’est-à-dire située dans un temps qui n’existe pas.
Les révolutionnaires veulent échapper à la société ouverte par une révolution, et non par une réaction. Ils vont vers une fuite en avant, ils sont dans l’utopie, c’est-à-dire le lieu qui n’existe pas. Il s’agit de rompre avec le passé, d’en faire table rase, pour édifier quelque chose qui n’a jamais existé, qui rompt à la fois avec la nature et avec la culture, à savoir le socialisme organisateur et planificateur.
Réaction et révolution peuvent apparaître comme deux systèmes de pensée opposés, mais ils sont en fait assez liés sur des points importants, notamment dans leur refus de la société ouverte. Ils ont la vision d’une société fermée, communautaire et holiste, où le groupe prime l’individu et où les rapports humains sont intangibles. Ils rejettent la démocratie et le libéralisme. C’est la défense de la corporation d’un côté, et du collectivisme de l’autre.
La réaction pense la nature, qui est un ordre qui s’impose aux personnes et aux sociétés, donc il n’est pas besoin de le penser ni de le théoriser. Par conséquent, elle rejette souvent les intellectuels ou les théoriciens, car elle ne comprend pas leur utilité. Elle ne met pas l’élément intellectuel au premier plan. Elle magnifie l’homme d’action et l’homme d’intuition, c’est-à-dire le chef de guerre ou le militaire, mais pas l’homme de théorie ou d’abstraction.
La révolution invente un monde qui n’existe pas, elle se veut anti-naturelle. L’ordre social jugé bon est un ordre construit et pensé, donc les familles révolutionnaires ont une propension naturelle à produire des idées et des intellectuels.
Cette opposition est une autre dissymétrie entre les deux systèmes.
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