Bâtir des civilisations durables

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dimanche 22 mars 2015

Géoculture. Plaidoyer pour des civilisations durables

Comment sonder la vitalité des civilisations ? Seuls le PIB et les chiffres d’exportations commerciales semblent pertinents aux yeux de beaucoup pour analyser la puissance des États. Ainsi en est-il du classement officiel des pays, G7 et G20, qui ne mesurent que le produit intérieur brut. Cette typologie est tout à la fois factice et illusoire, car elle ne prend en compte ni la densité sociale des pays, ni leur profondeur culturelle. Or, c’est en s’appuyant sur leur culture que les États peuvent résister aux crises, qu’elles soient économiques, politiques ou militaires. C’est cette géoculture qu’Olivier Hanne et Thomas Flichy se proposent d’étudier ici, dans un court livre qui se révèle être tout autant un plaidoyer qu’une analyse.

Primat de la culture

Car tout n’est pas qu’économique, et la culture est première, même si elle est aujourd’hui marginalisée, voire oubliée. Cette croyance dans le fait que la technique décide de tout, c’est-à-dire que la poésie a quitté le monde, de même que l’inspiration créatrice. Cette croyance qui nie l’altérité et qui pense que les hommes sont interchangeables parce que tous les problèmes ne sont qu’économiques. L’économie est alors utilisée pour tout expliquer, des mouvements djihadistes à l’urbanisation des continents. Cette pensée nie le temps long des civilisations et des facteurs culturels. Elle nie l’homme, et tend tout autant à l’effacer qu’à l’abolir. Avec la culture, l’être humain passe de statut d’individu à celui de personne. La culture implique la morale, c’est elle qui donne l’approche du bien, du beau, du vrai et du juste. La culture définit l’humain, et elle permet aux États de se bâtir, de créer des œuvres durables, et de mobiliser les hommes autour de projets réellement attrayants et réellement novateurs.

La fascination pour l’économie nous fait oublier la volonté de puissance, à tel point que certains auteurs osent même parler d’obsolescence de la puissance. C’est pourtant un thème sur lequel les hommes politiques comme les intellectuels auraient grand intérêt à réfléchir. L’exercice de la puissance repose sur au moins trois facteurs : l’estime collective de soi, le dynamisme en matière d’innovation et de travail, le dynamisme démographique. Ce sont ces trois facteurs que les auteurs étudient dans leur ouvrage.
Les civilisations durables s’appuient nécessairement sur une culture assumée. On oppose ainsi les nations géoculturelles aux constructions techno-abstraites, vouées à disparaître, mais parfois en emportant les peuples avec eux.

Les tentations des royaumes engloutis

Les auteurs recensent sept tentations qui menacent les États et les empires et les emportent dans leur chute. Les contingences matérielles ne sont jamais le facteur premier, mais elles surviennent comme le résultat de facteurs plus anciens, qui est essentiellement le renoncement volontaire ou subi de sa propre identité. « En matière culturelle, les greffes artificielles aboutissent le plus souvent à l’échec. Les tentatives violentes pour conjuguer deux cultures antinomiques ont toutes abouti à la mort de l’une ou de l’autre. » (p. 43)

Qu’elles sont ces sept tentations ? La tentation du vice, du déracinement, du renoncement politique, de la dette, de l’énormité, du matérialisme et du discours velléitaire.

La tentation du vice est celle de l’ultra-violence et du porno-élitisme, de cette hybris qui conduit au chaos. Celle du déracinement, c’est tout à la fois le renoncement des États à leur culture et à leurs racines, que celle des personnes qui n’ont plus de liens familiaux et amicaux, et qui deviennent des individus isolés. Le renoncement politique menace ceux qui, parvenus au sommet du pouvoir, ne veulent plus gouverner et laissent à d’autres le soin de prendre les décisions. La tentation de la dette, c’est l’habitude malsaine de vivre à crédit, c’est-à-dire de faire payer nos factures aux autres générations. La dette asservit la puissance et vole la jeunesse. L’énormité s’accompagne du gigantisme, conjoint au puzzle, qui fractionne les actes de commandement et de décision et qui génère l’isolement. La tentation matérialiste, c’est celle de l’illusion de la modernité qui ne croit que dans le tout technique et l’absolue maîtrise des objets matériels. C’est la négation de la dimension spirituelle de l’homme et de l’âme propre à chaque culture et chaque civilisation. Enfin, la tentation du discours velléitaire qui se révèle et creux et impuissant et qui ruine la puissance à force de l’invoquer.

Ces sept tentations se conjuguent souvent avec le goût trop prononcé du confort et de l’accroissement des conditions de vie qui fait croire aux sociétés que les seules préoccupations des peuples portent sur le pouvoir d’achat et l’augmentation salariale. C’est là aussi l’immixtion du tout économique dans le discours politique, qui se ruine à ne pas vouloir reconnaître l’éminente place de la culture. On en a oublié que les hommes pouvaient se battre pour la lune et les étoiles, et pas seulement pour des diamants et du pétrole. C’est ainsi que « Les sociétés qui veulent durer doivent retrouver leur centre, l’axe qui les relie à leur spiritualité et à la foi qu’elles ont perdue. » (p. 90)

Géoculture des entreprises

L’originalité de la démarche portée par les auteurs est non seulement de définir une notion, la géoculture, que de pouvoir l’appliquer aussi bien aux États qu’aux entreprises. La grille d’analyse précédemment évoquée se révèle en effet tout à fait pertinente pour comprendre la puissance de telle ou telle marque, qui ne repose pas uniquement sur son chiffre d’affaires et son bénéfice, mais aussi sur son esprit d’entreprise, sa culture entrepreneuriale, difficile à définir, mais que l’on peut toutefois approcher et circonscrire. Il devient alors possible de prévoir les entreprises qui pourront surmonter les crises, et celles qui disparaîtront, même sans gros temps. Ainsi, cette démarche intellectuelle qui veut rappeler la primauté de la culture sur l’économie témoigne aussi du fait que les deux ne sont pas antinomiques et peuvent trouver un juste accomplissement en leur sein.

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