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dimanche 25 novembre 2018
Cet essai de Jérôme Besnard tisse le portrait intellectuel de la droite de ses origines (la Révolution française) à nos jours. Il insiste sur le fait que ce mouvement politique est d’abord composé d’hommes, plus que d’idées, et ce sont ces hommes que l’auteur met en avant. Il le fait de façon complète, c’est-à-dire en ne s’arrêtant pas aux seuls politiques, mais en évoquant également le monde de la littérature. À ce titre, il écrit un très beau chapitre sur les aviateurs Jean Mermoz et Antoine de Saint-Exupéry, accompagnés du navigateur Alain Gerbault. Un chapitre est aussi consacré aux Hussards, et surtout aux liens intellectuels et amicaux tissés entre ces écrivains et le milieu politique. Il y mentionne ainsi les liens entre Valéry Giscard d’Estaing et Roger Nimier. L’un des grands mérites de l’ouvrage est d’insister sur cette filiation intellectuelle et de présenter les liens humains entre les générations, comme de montrer la complexité des hommes. Ainsi de ces Hussards, hommes de droite pure, qui finissent par soutenir François Mitterrand en 1981, ou bien ces militants monarchistes et nationalistes qui sont les premiers à s’engager dans la Résistance, notamment le 11 novembre 1940, quand la gauche du Front populaire vote les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain.
L’ombre de la monarchie plane sur l’histoire de la droite, que ses hommes soient des monarchistes assumés ou qu’ils tentent de réparer l’absence de père et de souveraineté consécutive à l’assassinat du roi. La question du pouvoir et de l’autorité est ainsi sans cesse posée, et elle ne sera résolue que par le Général de Gaulle et l’institution de la Ve République. Cette année 1958 est une rupture politique majeure, car c’est la première fois que la droite revient au pouvoir depuis la démission du Maréchal de Mac Mahon en 1879. La victoire de la Chambre bleu horizon (1919) n’a duré qu’une mandature ; ces députés de droite furent balayés en 1924 par le Cartel des gauches. Hormis quelques hommes ponctuels, comme Raymond Poincaré puis le mouvement du CNIP dans les années 1950, la droite fut absente du pouvoir politique pendant près de quatre-vingts ans. L’auteur montre bien que ce mouvement d’idée n’a pas réussi à s’adapter aux nouvelles données politiques ni répondre aux volontés du peuple. Beaucoup de barons de la droite se sont alors murés dans un exil intérieur, se contentant de quelques succès locaux, notamment dans l’ouest de la France et de quelques coups d’éclat au Parlement. C’est peut-être cela d’ailleurs, le grand mal de la droite. Donnant la priorité aux hommes et à l’imaginaire, elle n’a pas vraiment de doctrine et d’idées, et donc pas de ressort politiques pour faire marcher un peuple, gagner les élections et assurer le gouvernement du pays.
Quand la droite adopte les idées de la gauche
La période gaulliste a été une parenthèse, terminée par la mort brutale de Georges Pompidou en 1974. Bon nombre d’hommes de droite étant anti-gaullistes, ils ont scié la branche qui les soutenait et préparé ainsi l’avènement de Mai 68. Ce n’est pas le moindre des paradoxes de cette droite qui se veut pure, mais qui a préparé le terrain à la victoire de son ennemi. Dans les deux chapitres qu’il consacre à Diên Biên Phu d’une part et à la guerre d’Algérie d’autre part, l’auteur analyse bien la part de nostalgie, d’imaginaire et de torpeur qui a saisi la droite française dans ces années de défaites militaires que fut la décennie 1954-1962. Et là aussi réside un autre paradoxe, que l’auteur met bien en avant : la politique coloniale fut la grande œuvre de la gauche républicaine contre l’opposition de la droite libérale et conservatrice, mais, au matin de la décolonisation, c’est cette droite légitimiste qui avait repoussé la colonisation qui s’en fait l’ardente défenseur contre la gauche.
C’est un point d’inflexion que l’on aurait souhaité que l’auteur développe davantage : cette façon dont la droite a, de manière systématique, adopté les idées de la gauche. C’est Giscard qui veut se faire passer pour un homme de gauche et qui échoue en 1981. C’est Chirac qui se présente comme un homme de réforme dans les années 1980, avant de s’embourber dans la paresse politique et l’inaction au cours de ces deux mandats. C’est Nicolas Sarkozy, élu sur un programme de droite en 2007, et qui n’a de cesse ensuite de vouloir donner des gages à la gauche, d’où sa défaite en 2012.
On pourra regretter que l’auteur utilise les termes de libéraux et de conservateurs sans vraiment les définir. Il semble opposer deux droites, une droite libérale et une droite conservatrice, alors qu’une définition précise de ces termes aurait permis de démontrer que libéraux et conservateurs ne s’opposent pas, mais que bien au contraire ils se nourrissent l’un l’autre. La droite libérale d’un Poincaré et la droite conservatrice d’un De Gaulle sont très proches et sont réunies par un même homme, Jacques Rueff, conseiller des deux politiques et qui sauva l’économie française à deux reprises, en 1928 en mettant en place la politique monétaire de Poincaré et en 1958 en établissant la liste des réformes d’urgence à accomplir. Poincaré avait une grande conscience des relations internationales et de la diplomatie, tout comme le général de Gaulle fut attentif à développer une saine politique économique. Il n’y a donc pas d’un côté la droite de l’argent et de l’autre la droite de la terre, sauf dans l’imaginaire de quelques écrivains de droite, davantage doués pour le maniement des mots que pour l’action pratique.
Quand la droite se fait socialiste
Car c’est là un autre paradoxe apparent de la droite : son adhésion au socialisme. Jérôme Besnard évoque les hussards qui, comme Jacques Laurent, ont rallié François Mitterrand en 1981, alors que le chef du Parti socialiste français pouvait apparaître aux antipodes de leur pensée politique. Ils se retrouvaient au moins sur un point : la haine du capitalisme, c’est-à-dire des libertés individuelles, le refus de la primauté de la personne au bénéfice de la domination du groupe, la croyance en la divinité de l’État au détriment des relations de liberté entre les personnes. Le fil conducteur de l’histoire de la droite, c’est d’avoir suivi la gauche et d’être devenue socialiste. Oublié Mgr Freppel qui luttait pour la liberté scolaire et l’université libre, la droite soutient aujourd’hui le monopole de la collation des grades et refuse le chèque éducation. Oublié les combats des années 1910 contre l’impôt sur le revenu, ou la motion de censure déposée par Édouard Balladur contre la CSG. Aujourd’hui, aucun homme de droite ne pense supprimer l’IR et la CSG. Oublié la défense de la liberté d’association, le rôle des coopératives et les mutuelles de secours, la droite défend désormais la sécurité sociale mise en place par les communistes en 1946 et dont les premières racines furent plantées par les radicaux-socialistes tournoyants dans l’entourage du Maréchal Pétain dans les années 1940-1942.
Les socialistes de droite ont méticuleusement renié leur histoire en adhérent à l’idéologie socialiste qu’ils essayent de tempérer par quelques gestes martiaux. C’est qu’en réalité, en deçà de la gauche et de la droite, c’est la technostructure de l’administration qui a pris le pouvoir. Jadis les technocrates étaient issus de l’école Polytechnique, aujourd’hui ils sont issus de l’ENA. Là réside le véritable pouvoir, dans les cabinets ministériels, les collaborateurs parlementaires, les fonctionnaires, qui écrivent, compilent et font voter et adopter les lois et les règlements. L’histoire de la droite devient inutile, comme celle de la gauche, car le véritable pouvoir politique est entre les mains de cet État profond qui a pris le pouvoir à partir des années 1880 et qui, depuis, ne le lâche plus. Cette administration est acquise au planisme et au collectivisme, et si elle parle de solidarité et de justice sociale c’est pour faire passer la corruption politique et le clientélisme pour une vertu. L’erreur historique de la droite, c’est d’avoir accepté cette mainmise de l’administration sur la population et de s’être laissée convertir au socialisme, sans se débattre et sans riposter.
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